Du XIX° au XXI° siècle, la Solitude a vécu bien des changements mais ce lieu est toujours resté pour les sœurs de la Sainte famille et tous ceux et celles qui s’inspirent de sa spiritualité, un lieu source qui porte la trace de nos origines, de notre Fondateur le Père Pierre Bienvenu Noailles, prêtre du diocèse de Bordeaux (1793-1861).
Mais pour mieux comprendre ces lieux, retournons en arrière….
Un soir de Novembre, à la nuit presque tombée, en pleine campagne, un voiturier dépose deux femmes avec leurs ballots à la porte d’une maison inhabitée. Une fois entrées et la chandelle allumée, elles ne découvrent que des toiles d’araignées.
Cette nuit là, elles dorment peu, l’oreille aux aguets pour faire face aux bruits menaçants de la nuit : craquements sinistres des huisseries, hululements sourds de quelques bêtes. Un froid rude et un vent glacial s’engouffrent dans cette maison aux fenêtres sans vitres. On raconte qu’à proximité, des loups affamés sont sortis des bois, et ont attaqué deux vaches à l’étable voisine. Au matin elles découvrent une vigne noueuse et abandonnée et de magnifiques arbres qui barrent l’horizon.
Elles sont là en éclaireuses pour préparer la maison et accueillir trois autres compagnes. Ces dernières, venues de Bordeaux, arrivent avec une charrette tirée par des bœufs Elles ont fourré là toutes leurs richesses : un peu de linge un peu de vaisselle un pauvre mobilier, bref le strict minimum pour démarrer pauvrement une vie communautaire.
Nous sommes en novembre 1831 la Sainte-Famille a déjà 11ans d’existence, elle vient de s’établir à Martillac au lieu dit « le Vigneau-du-haut », qui deviendra très vite « la Solitude ». Le Père Noailles, son fondateur, dans son vaste projet souhaitait une présence religieuse dans les campagnes. Son intuition est en train de prendre corps. Il désire établir là un noviciat pour sœurs destinées à l’enseignement, à la visite des malades et des pauvres des campagnes, y situer l’administration de son œuvre et créer un lieu de prière et de rencontre pour les membres du groupe qu’il a fondé.
C’était une ferme toute ordinaire avec un puits, qui était le meilleur du village. La maison d’habitation n’avait que trois pièces, au rez-de-chaussée, surmontées d’un grenier, tandis qu’une grande chambre était située au dessus du chai, important comme il se doit dans cette région. Cette propriété comprenait aussi des vignes, des prairies, des bois et des terres cultivables, le tout pour 27 hectares… La carpe, un ruisseau servait de limite à la propriété.
Les sœurs vécurent les premières années dans une très grande pauvreté. Elles se mirent peu à peu au courant des connaissances les plus usuelles, en fait d’agriculture. Elles ne tardèrent pas à installer la classe pour les enfants du village et des environs (classes plus tard transférées au bourg) et à soulager les malades et les plus pauvres du coin.
Le Père Noailles passa beaucoup de temps à la Solitude, environ une trentaine d’années. Il y venait avec plaisir : « Ici au moins, je respire un peu ; La solitude me rend à Dieu, à moi, à mes amis ; mon cœur tiraillé de toutes parts au milieu de la ville, ici reprend sa pente naturelle. » (12 juin 1834) Il s’occupait de la basse-cour, de la laiterie, des celliers, tout aussi bien que de l’Ile et de ses plantations. Il faisait soigner la cave et préparait ainsi cette réputation que le vin de Martillac a acquise plus tard.
C’est en ce lieu qu’il donna libre cours à son rêve et à son génie organisateur. C’est là aussi qu’il écrivit les Règles de la Sainte Famille.
« Dans mon rêve, la Sainte Famille m’est apparue comme un arbre gigantesque, une sorte de chêne aux rameaux verdoyants. On y voyait des fleurs et des fruits de toutes les saisons ; il y avait des oiseaux de toutes les couleurs, de tous les pays ; chaque espèce avait son chant particulier. Mais, par moments, ils ne formaient tous qu’une même voix, et, dans un accord parfait, ils semblaient dire : « Gloire à Dieu, gloire à Dieu seul, et tout par Marie…
Pour vivre et se développer, cet arbre avait besoin d’air et d’espace et naturellement, je le plaçais ici.
A mes yeux et pendant mon rêve, ce domaine changeait entièrement d’aspect ; il me semblait que pour seconder les vues de Dieu toutes les circonstances se réunissaient afin d’embellir ces lieux… »
Le rêve est devenu réalité… L’arbre de la Sainte Famille a grandi. Attentif, Pierre Bienvenu Noailles a cherché à répondre aux besoins de son temps.
Et la transformation des lieux s’est elle aussi réalisée…
En 1833, la propriété est déjà unifiée et embellie et, en 1834, l’administration générale s’y installe.
En 1836, les travaux de l’île de Toutes Grâces sont commencés.
Dans la lettre du 25 janvier 1837, il écrit : « Il me reste à vous parler de la maison de la Solitude de la Sainte famille, à Martillac. Cette propriété est toujours consacrée à recevoir en retraite les personnes qui veulent consulter le Seigneur sur leur vocation ou faire un retour sur le passé pour commencer une nouvelle vie…Elle est considérablement embellie et s’embellit encore ; mais cet embellissement n’a pas pour but une vaine jouissance toute humaine et toute naturelle des personnes qui l’habitent ; il a une fin plus digne de Celui que nous voulons y faire glorifier : celle de disposer les âmes qui viendront l’habiter momentanément à s’ouvrir plus facilement aux inspirations de la grâce. »
Le calme et la solitude sont en effet propices à la rencontre avec Dieu. Et il désirait que chaque sœur de la sainte Famille aient le bonheur de venir y passer quelques jours en solitude, auprès de Notre Dame de Toutes grâces.
En 1856 c’est la naissance des Sœurs agricoles, quatre sœurs, qui s’installent à l’ Ermitage qui avait servi d’habitation à l’abbé Noailles jusqu’au moment où sa santé avait exigé qu’il fût moins éloigné de la chapelle.
L’Administration générale ayant été transférée à Bordeaux, la pensée vient à Pierre-Bienvenu Noailles de commencer ici la première maison des sœurs contemplatives, appelées Solitaires. Le jour même où les Sœurs agricoles prennent possession de l’Ermitage, les Sœurs Solitaires commencent une vie nouvelle. En ces premiers mois de leur existence, qui furent les derniers de sa vie, le Bon Père se fait un devoir et une consolation de les diriger lui-même.
La Solitude après la mort de Pierre-Bienvenu Noailles
En avril 1861, les Sœurs contemplatives quittent Martillac pour occuper à Talence le « petit Saint Pierre » et la Solitude demeure un lieu de prière et de pèlerinage. Une vaste bâtisse est construite pour l’accueil et les retraites. Elle abrite aussi des sœurs âgées.
L’école commencée à la Solitude déménagea à Martillac. Les sœurs ne l’ont quittée que récemment.
La persécution de 1903 fit disperser les orphelines et supprimer l’orphelinat pour un temps. Deux sœurs seulement, en costume séculier, restèrent pour garder la propriété.
En 1914 pendant la durée de la guerre, une ambulance est organisée.
1919 voit la reconstitution de la Communauté et la réouverture de l’orphelinat agricole avec allure de préventorium. Il sera fermé définitivement en 1960.
En 1933 le bâtiment central est refait et modernisé. En 1952, c’est la construction d’une nouvelle aile, le Pavillon Notre dame, mis au service du diocèse pour des retraites.
1966, Les Solitaires reviennent à leur première demeure bien transformée depuis lors.
En 1967 une grande chapelle destinée aux retraitants du Pavillon Notre Dame est édifiée.
En 1968 la chapelle du Bon Pasteur, chapelle de l’adoration devient la chapelle des contemplatives.